CHAPITRE VI
Debout face à son miroir, Buffy se demandait ce qu’elle allait pouvoir porter le soir même. Elle plaqua contre son corps une tenue étonnamment sommaire et apostropha son reflet :
— Bonjour ! Je suis une Marie-couche-toi-là !
Ça n’allait pas du tout. Elle choisit un second ensemble beaucoup plus sobre, répéta la manœuvre, et grimaça.
— Bonsoir ! J’aime passer mes soirées à tricoter au coin du feu !
Ça n’allait pas non plus. Frustrée, Buffy jeta à terre les deux tenues.
— Dire que je m’habillais si bien autrefois, grommela-t-elle tandis que sa mère entrait dans sa chambre.
— Tu sors, ma chérie ? s’enquit Joyce.
— Oui. Je vais dans un club.
— Y aura-t-il des garçons ?
— Bien sûr que non ! s’indigna faussement Buffy. C’est un club réservé aux nonnes.
Sa mère sourit.
— Tâche d’être prudente.
— Promis.
Buffy sentait venir une conversation sérieuse. Mal à l’aise, Joyce lança enfin.
— Je crois que ça pourrait marcher ici, déclara-t-elle très vite. Je sens bouillonner mon énergie créatrice. La galerie sera de nouveau sur pied en un rien de temps. Je pense avoir trouvé un local.
— Super ! répondit Buffy, en s’efforçant de se montrer enthousiaste.
— Et ce lycée sera pour toi un environnement idéal.
— Maman…
— Je sais, je sais. Tu as seize ans et mes inquiétudes de mère-poule te passent au-dessus de la tête. (Joyce hésita.) Pour moi aussi, il est difficile de tout recommencer dans une nouvelle ville. Je veux que tout se passe bien, tu comprends ? Je suis déterminée à faire tout mon possible.
— Je sais.
— Tu es une bonne fille, Buffy. Mais tu ne fréquentais pas les gens qu’il aurait fallu. C’est du passé maintenant.
— Ça, oui ! répondit l’adolescente. A partir d’aujourd’hui, je ne traînerai plus qu’avec des vivants… Je veux dire, des jeunes pleins de vie.
Joyce eut l’air soulagé.
— Parfait. Amuse-toi bien.
*
* *
Finalement, elle opta pour un pantalon moulant et un chemisier bleu poudré ouvert sur une brassière. Puis elle releva ses cheveux blonds et décida de se rendre à pied jusqu’au Bronze.
Laissant derrière elle les boulevards bien éclairés des beaux quartiers, elle s’engagea dans les rues désertes qui bordaient l’extérieur de Sunnydale.
Elle franchit l’angle d’une avenue, se demandant si le club était encore loin. Devant elle, le trottoir s’étendait à perte de vue, envahi par les ombres, et le bruit de ses pas résonnait sinistrement dans l’obscurité.
Buffy n’arrivait pas à chasser de son esprit les événements de la journée, les gens qu’elle avait rencontrés, les choses étranges qui s’étaient produites. Perdue dans ses pensées, elle continua à marcher jusqu’à ce qu’elle s’aperçoive qu’elle n’était pas seule.
D’autres pas retentissaient derrière elle.
Buffy fit volte-face.
Une silhouette enveloppée de ténèbres se tenait un peu plus loin.
Trop loin pour qu’il semble naturel de lui adresser la parole.
Elle ne bougeait pas. Bien que Buffy ne puisse voir son visage, elle eut l’impression que la personne la regardait.
Mal à l’aise, elle se détourna et recommença à marcher.
La silhouette lui emboîta le pas sans se presser.
Buffy accéléra. Sur une impulsion, elle plongea dans une ruelle et évalua du regard le décor qui l’entourait. Trois mètres au-dessus de la chaussée, elle vit un énorme tuyau. L’autre extrémité de la ruelle était bloquée par un amoncellement d’ordures.
La jeune fille entendit la silhouette se rapprocher sans hâte. Elle sauta, agrippa le tuyau des deux mains et effectua un rétablissement impeccable. Puis elle s’accroupit pour attendre son poursuivant.
Dès que la silhouette eut pénétré dans la ruelle, Buffy lui sauta dessus sans crier gare. Elle lui passa ses jambes autour du cou et, se jetant en arrière, fit un roulé-boulé en entraînant l’inconnu dans sa chute.
L’homme se releva aussitôt, mais elle lui saisit le bras et le projeta contre le mur.
En s’approchant de lui, elle réalisa qu’il ne faisait pas mine de l’attaquer. Au contraire, il leva les mains en signe d’apaisement.
— Vous avez un problème, mademoiselle ? demanda-t-il.
Il semblait amusé par la situation. Buffy plissa les yeux et, soupçonneuse, le détailla de la tête aux pieds.
L’homme était jeune et séduisant : grand et mince avec des pommettes saillantes et d’épais cheveux noirs. Une lueur étrange brillait dans ses yeux profondément enfoncés dans leurs orbites.
Plus que tout le reste, son assurance tranquille mit Buffy mal à l’aise, comme si l’inconnu savait des choses qu’elle ignorait encore.
Durant leur brève empoignade, il s’était déplacé avec grâce et adresse. Pour l’heure, il regardait la jeune fille sans bouger.
— Oui, il y a un problème, répliqua Buffy. Pourquoi me suivez-vous ?
— Je sais à quoi vous pensez, mais ne vous inquiétez pas, déclara l’homme d’une voix neutre. Je ne mords pas.
Ce n’était pas du tout le genre de réponse que Buffy attendait. Perplexe, elle fit un pas en arrière.
— A vrai dire, je croyais que vous seriez plus grande, reprit l’homme. Plus musclée. Mais je dois reconnaître que vous êtes sacrément efficace.
— Que voulez-vous ?
— La même chose que vous.
— C’est-à-dire ?
Il redevint sérieux.
— Les tuer tous.
Buffy tenta de cacher sa surprise.
— Désolée ! annonça-t-elle en prenant la voix et le ton d’une animatrice de jeu télévisé. Ce n’est pas la bonne réponse, mais vous gagnez cette adorable montre et votre poids en Snickers. (Une pause.) Ce que je veux, c’est qu’on me fiche la paix.
L’homme la fixa intensément.
— Croyez-vous que ce soit encore une option ? Vous vous tenez sur la bouche de l’enfer, et elle est sur le point de s’ouvrir.
Lentement, il plongea une main dans son pardessus et en sortit ce qui ressemblait à un écrin.
— Ne tournez pas le dos à vos obligations, dit-il en lançant la petite boîte à Buffy. Vous devez vous tenir prête.
La jeune fille leva le menton, pleine de défi.
— Prête pour quoi ?
— Pour la Moisson.
L’homme se détourna et fit mine de rebrousser chemin. Buffy le rappela.
— Vous ne m’avez pas dit qui vous étiez.
— Un ami, répondit-il calmement.
— Et si je ne veux pas d’ami ? lança la jeune fille, exaspérée.
Il eut un sourire ironique.
— Je n’ai pas prétendu que j’étais le vôtre.
Buffy le regarda s’éloigner et vit son ombre se fondre dans l’obscurité de l’avenue.
Elle ouvrit la boîte. A l’intérieur reposait une croix. Toute petite mais très ancienne, elle était attachée à une longue chaîne en argent.
La jeune fille leva la tête.
Le mystérieux inconnu avait disparu.